« Kairos » de Jenny Erpenbeck

De Kairos, le dieu grec de l’instant, on ne retient que l’endroit, celui de l’événement qui surgit et s’oppose au temps linéaire symbolisé par le dieu Chronos. On le représente avec une mèche de cheveux sur le front, qu’il faut agripper pour saisir la chance. Mais on oublie souvent l’autre face de Kairos : « Une fois le dieu passé sur ses pieds ailés, il vous offre l’arrière de son crâne chauve, où l’endroit est glabre et où il n’y a plus rien à empoigner ».

Jenny Erpenbeck nous livre une œuvre brillante dans son écriture et sa composition.

D’un côté, la rencontre dans un bus entre une jeune fille, Katarina, et un homme de 34 années de plus, Hans, de laquelle naîtra une aventure amoureuse adultère. Cette histoire vécue d’abord par Katarina comme une initiation au désir se transforme au fil des pages en une emprise dominatrice et insidieuse.

De l’autre, elle se déroule à Berlin Est, dans les temps qui précédent la fin du mur, c’est alors le portrait de ce monde en train de s’écrouler, lentement mais inexorablement.

C’est un roman sur la chute, les chutes même, brassant et entremêlant l’histoire intime et celle d’un peuple qui voit son idéal à la fois détourné puis effacé. La langue de Jenny Erpenbeck est sans pathos, sans fioriture, épurée et droite, tendue, forte et bouleversante. Un texte immense par sa manière d’embrasser ce Kairos, cet instant décisif où tout peut vaciller.

« Kairos » de Jenny Erpenbeck, éditions Gallimard

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